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Un investisseur japonais dans les énergies renouvelables obtient une indemnité pour les réformes réglementaires espagnoles

Les énergies renouvelables sont au cœur de l’agenda énergétique japonais. Le Japon est toujours fortement dépendant des combustibles fossiles pour ses besoins de production d’électricité avec un tiers de ses émissions de carbone provenant de ses 78 centrales thermiques. Le Premier ministre japonais s’est engagé que le Japon sera neutre en carbone d’ici 2050, ce qui a conduit le ministère japonais de l’économie, du commerce et de l’industrie à publier sa stratégie de croissance verte, ce qui pousse à ce que 50 à 60 % de l’énergie du pays soit fournie à partir d’énergies renouvelables. Dans le même temps, le Japon a résisté aux modifications du traité sur la Charte de l’énergie (« CTE« ) exprimant à plusieurs reprises son point de vue selon lequel des amendements aux dispositions actuelles du TCE ne sont pas nécessaires (comme indiqué dans le blog ici). Cette position reflète probablement les investissements japonais existants dans des projets d’énergie fossile (voir plus loin la couverture sur la divergence potentielle entre protection des projets d’énergie fossile et des projets d’énergie renouvelable sur le Blog ici). Cela n’a cependant pas empêché les parties contractantes de parvenir à un accord de principe sur la modernisation du TCE en juin dernier. Dans ce contexte, ce billet examine le résultat d’une récente Demande CIRDI contre l’Espagne déposée par un investisseur japonais dans les énergies renouvelables, pour examiner comment elle s’inscrit dans le contexte plus large de la controverse entourant la modernisation du TCE.

Arrière-plan: Eurus Energy c. Espagne

Eurus Énergie (“Eurus« ), une joint-venture entre Toyota Tsusho Corporation et la Tokyo Electric Power Company, et l’un des plus grands développeurs japonais d’énergie renouvelable, a récemment obtenu un prix favorable dans sa demande TCE contre l’Espagne. La réclamation d’Eurus est née des réformes instituées par le gouvernement espagnol dans le secteur des énergies renouvelables. Eurus faisait partie d’une vague d’investisseurs qui ont intenté des poursuites contre l’Espagne dans le cadre du TCE après que les autorités espagnoles ont réduit les subventions dans le secteur des énergies renouvelables et introduit une taxe sur les producteurs d’énergie renouvelable.

En 2007, les autorités espagnoles ont mis en œuvre un certain nombre de mesures réglementaires pour encourager les investissements dans les énergies renouvelables, notamment de généreux programmes d’incitations pour attirer les investissements étrangers dans le secteur espagnol des énergies renouvelables. L’adoption massive de ces mesures par les investisseurs, combinée à la crise financière, a conduit l’Espagne à changer de régime, notamment à retirer certaines caractéristiques des mesures réglementaires et des régimes incitatifs d’origine. Une partie de ces réformes comprenait également des dispositions en vertu desquelles l’Espagne pouvait récupérer les subventions versées avant 2013 qui étaient supérieures à celles payables dans le cadre des réformes ultérieures.

Cela a conduit à un certain nombre d’arbitrages déposés contre l’Espagne en vertu du TCE par des investisseurs faisant valoir une violation de la norme de traitement juste et équitable ainsi qu’une violation des attentes légitimes. Eurus était l’un de ces investisseurs qui avait initialement demandé 258 millions d’euros aux autorités espagnoles. Eurus avait deux arguments principaux : (i) qu’elle avait une attente légitime que le régime de réglementation se poursuive, et (ii) qu’il y avait une violation de la disposition de traitement juste et équitable du TCE.

Attente légitime

Eurus a fait valoir dans la procédure qu’elle pouvait légitimement s’attendre à ce que le régime réglementaire reste inchangé pendant toute la durée des projets. Le contre-argument du Royaume d’Espagne était que le régime spécial était fondé sur le principe d’un « rendement raisonnable », ce qui signifie qu’un producteur n’était assuré que de recevoir des fonds suffisants pour recouvrer les coûts d’investissement et les coûts d’exploitation, et réaliser un rendement en ligne avec des critères de marché. L’Espagne a fait valoir que les incitations pour les installations étaient toujours soumises à un plafond indéfini.

Le tribunal a estimé qu’Eurus ne pouvait pas avoir une confiance légitime dans le fait que le régime réglementaire espagnol resterait inchangé et que les subventions continueraient d’être versées au même taux indéfiniment. Le tribunal était persuadé que les autorités espagnoles n’avaient pris aucun engagement spécifique de maintenir les subventions. Cependant, le Tribunal a admis qu’Eurus avait une attente légitime que les subventions seraient maintenues. »sous une forme substantielle» Même s’ils devaient évoluer au cours de la durée de vie des projets éoliens d’Eurus.

Autres réclamations liées au traitement juste et équitable

Eurus avait également fait valoir que les changements apportés par l’Espagne au régime réglementaire violaient les protections de traitement juste et équitable du TCE. En particulier, Eurus a fait valoir que les modifications rétroactives des règles violaient les obligations de l’Espagne de maintenir des conditions stables et favorables pour ses investissements. Le Tribunal a statué qu’il ne lui appartenait pas de deviner les mesures raisonnables que l’Espagne aurait pu prendre et de proposer des politiques alternatives, mais plutôt d’évaluer si les mesures étaient proportionnées et tenaient dûment compte de l’intérêt de confiance raisonnable des bénéficiaires qui peuvent avoir engagé des ressources substantielles sur la base des règles précédentes.

Le Tribunal a conclu qu’en ce qui concerne la plupart des mesures contestées, il n’y avait pas eu violation de la protection « juste et équitable » du TCE en l’absence de preuves concluantes susceptibles d’étayer une conclusion de caractère déraisonnable ou de discrimination. Cependant, une exception était la récupération proposée des subventions versées avant 2013. Le tribunal a estimé que lorsque les subventions avaient été versées, l’investisseur restait en droit de bénéficier du régime stable promis par le TCE.

dommage

Le Tribunal a ordonné aux parties de chercher à s’entendre sur l’incidence monétaire de la décision sur les dispositions de récupération. Eurus a demandé 106,2 millions d’euros à titre de dommages et intérêts et a obtenu le montant total. Il s’agit de l’une des décisions les plus importantes rendues contre l’Espagne à la suite de modifications apportées à son régime d’énergies renouvelables, bien qu’elle ne soit en aucun cas la plus importante.

Analyse

Le succès d’Eurus est intervenu juste avant la défense réussie par le Japon d’une demande d’énergie renouvelable déposée dans le cadre du traité bilatéral d’investissement entre le Japon et Hong Kong. Cette réclamation, présentée par l’investisseur basé à Hong Kong, Shift Energy, concernerait des réformes du régime japonais de subventions aux énergies renouvelables introduites à la suite du grand tremblement de terre de mars 2011 qui a conduit à l’arrêt des réacteurs nucléaires japonais. Le contraste avec la position de l’Espagne montre les implications de la Eurus décision et les modifications à venir proposées au TCE.

Sur les 157 affaires portées devant le TCE, la grande majorité d’entre elles – plus de 90 – concernent des projets d’énergie renouvelable. Cela reflète les changements réglementaires apportés par un certain nombre de pays quant à la manière dont ils encouragent les investissements dans les énergies renouvelables. La demande mondiale en énergies renouvelables a conduit à une accélération des investissements dans le secteur. Il est peu probable que cela change alors que les gouvernements et les entreprises cherchent à lutter contre le changement climatique, et les différends dans le secteur des énergies renouvelables ne feront que croître. Les développements de la procédure Eurus interviennent dans le sillage de la récente controverse autour de la modernisation du TCE. En particulier, bien qu’il ait été annoncé fin juin 2022 que les Parties contractantes au TCE étaient parvenues à un accord de principe sur sa modernisation, de nombreux pays européens dont l’Espagne ont annoncé leur intention de se retirer du traité. Alors que les parties contractantes étaient censées finaliser le projet de traité modernisé à la fin de l’année dernière, ce vote a maintenant été reporté à avril 2023.

Des décisions antérieures du CIRDI dans d’autres affaires liées au TCE impliquant l’Espagne ont abouti à des conclusions différentes sur la question de savoir si un investisseur peut avoir des attentes légitimes dans les circonstances et, dans l’affirmative, quelles sont ces attentes légitimes. Par exemple, dans Charanne et Construction Investments contre Espagne Affaire CSC n° V 062/2012 (« Charanne“), l’investisseur a fait valoir que le régime réglementaire initial l’avait incité à investir dans le secteur espagnol des énergies renouvelables et avait fait naître l’espoir que les termes de ce régime ne seraient pas modifiés. Le tribunal a rejeté cet argument en estimant que – à l’instar du raisonnement du tribunal dans l’arbitrage Eurus – le cadre réglementaire n’était pas suffisamment précis. En revanche, dans Novenergia II – Energy & Environment (SCA), SICAR c. Espagne Affaire CSC n° 2015/063 (« Novénergie« ), le Tribunal a estimé que des attentes légitimes pouvaient naître de « engagements et assurances» fournies par les autorités espagnoles, y compris, en l’occurrence, des déclarations de responsables du Congrès espagnol des députés.

L’un des principaux domaines d’intérêt pour les parties contractantes dans les négociations était le renforcement du droit de réglementer. En conséquence, les modifications proposées au TCE incluent des références supplémentaires dans le préambule au droit des États de réglementer ainsi qu’un article autonome réaffirmant ce droit dans l’intérêt d’objectifs légitimes de politique publique. En plus de renforcer le droit de l’État de réglementer, les modifications proposées au TCE réduiront la définition des investisseurs et des investissements protégés. Dans l’ensemble, les réformes prévues devraient conduire à un affaiblissement des protections des investissements pour les investisseurs.

La norme de traitement juste et équitable sera également modifiée. Dans sa forme actuelle, l’article 10, paragraphe 1, du TCE impose simplement aux États « accorder à tout moment aux investissements des investisseurs d’autres parties contractantes un traitement juste et équitable“. Aucune définition ou autre information n’est fournie. Les parties contractantes ont l’intention d’énumérer certaines mesures qui constitueraient une violation de la norme et de clarifier les circonstances dans lesquelles les attentes légitimes peuvent être prises en compte, même si les investisseurs sont susceptibles de voir ces arguments devenir plus difficiles plutôt que moins. L’approche exacte qui sera adoptée reste à voir, mais peut aller jusqu’à aligner certains des cas antérieurs incohérents.