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Résumés des arrêts : HYA et autres (Motifs d’autorisation des écoutes téléphoniques)

Summaries of judgments made in collaboration with the Portuguese judge and référendaire of the CJEU (Nuno Piçarra and Sophie Perez)

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Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 16 février 2023, HYA e.a. (Motifs d’autorisation des écoutes téléphoniques), affaire C-349/21, EU:C:2023:102.

Renvoi préjudiciel – Secteur des télécommunications – Traitement des données à caractère personnel et protection de la vie privée – Directive 2002/58/CE – Article 15, paragraphe 1 – Restriction de la confidentialité des communications électroniques – Décision judiciaire autorisant l’interception, l’enregistrement et le stockage de conversations téléphoniques de personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction grave intentionnelle – pratique selon laquelle la décision est rédigée selon un modèle de texte préétabli ne contenant pas de motifs individualisés – article 47, deuxième alinéa, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne Syndicat — Obligation de motivation

fait

En 2017, le président de la Spetsializiran nakazatelen triste (Tribunal pénal spécialisé, Bulgarie), sur la base de requêtes motivées, circonstanciées et étayées du Prokuratura de la Spetsializirana (Parquet spécialisé, Bulgarie), a autorisé les écoutes téléphoniques de quatre individus soupçonnés d’avoir commis des infractions graves intentionnelles. En motivant ses décisions, le président a suivi la pratique judiciaire nationale existante consistant à utiliser un modèle préétabli destiné à couvrir tous les cas d’autorisation possibles, qui ne comportait pas de motifs individualisés et qui, en substance, se contentait d’indiquer que les exigences de la la législation nationale sur les écoutes téléphoniques, mentionnée dans le modèle, avait été respectée, ainsi que la durée pendant laquelle l’utilisation de méthodes d’enquête spéciales était autorisée.

En 2020, le Parquet spécialisé reprochaient à ces quatre personnes, ainsi qu’à une cinquième, de participer à une bande criminelle organisée à des fins d’enrichissement, de faire passer clandestinement des ressortissants de pays tiers à travers les frontières bulgares, de les aider à entrer illégalement sur le territoire bulgare et de recevoir ou de verser des pots-de-vin dans le cadre de ces activités. Étant donné que le contenu des conversations enregistrées a une importance directe pour établir la validité de l’acte d’accusation, le Tribunal pénal spécialisé doit d’abord contrôler la légalité de la procédure ayant conduit à l’autorisation des écoutes téléphoniques.

Dans ce contexte, ladite juridiction demande si la pratique nationale en matière de motivation des décisions autorisant les écoutes téléphoniques est compatible avec la directive 2002/58, lue à la lumière de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Conclusions de la CJCE

En ce qui concerne la pratique nationale en cause – par laquelle la juridiction autorisant les écoutes téléphoniques arrête sa décision sur la base d’un modèle préétabli destiné à couvrir tous les cas d’autorisation possibles sans contenir de motifs individualisés -, la CJCE note que la juridiction qui accorde ces autorisations prend sa décision sur la base d’une demande dont le contenu, prévu par la loi, doit lui permettre de vérifier si les conditions d’octroi d’une telle autorisation sont remplies. Cette pratique s’inscrivant dans le cadre de mesures législatives prévoyant la possibilité de prendre des décisions judiciaires motivées ayant pour effet de restreindre le principe de confidentialité des communications électroniques et des données relatives au trafic, énoncé à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2002/58, l’article L’article 15, paragraphe 1, de cette directive, lu à la lumière de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, exige que ces décisions juridictionnelles soient motivées.

Dans ce contexte, la CJUE souligne qu’en signant un texte pré-rédigé conformément à un modèle indiquant que les exigences légales ont été respectées, la juridiction compétente entérine les motifs de la demande tout en veillant au respect des exigences légales. Selon la CJUE, «il serait artificiel d’exiger que l’autorisation d’utiliser des méthodes d’enquête spéciales contienne une motivation spécifique et détaillée, alors que la demande pour laquelle cette autorisation est accordée contient déjà une telle motivation en vertu du droit national”.

Toutefois, l’obligation de motivation visée à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte impose à la fois à la personne à laquelle ont été appliquées des méthodes spéciales d’enquête et à la juridiction chargée de contrôler la légalité de l’autorisation d’utiliser ces méthodes d’être en en mesure de comprendre les motifs de cette autorisation. Cela suppose qu’ils aient accès non seulement à la décision d’autorisation mais également à la demande de l’autorité qui a demandé cette autorisation. En effet, ils »devrait pouvoir comprendre facilement et sans ambiguïté, au moyen d’une lecture croisée de l’autorisation d’utiliser des méthodes d’enquête spéciales et de la demande motivée qui l’accompagne, les raisons précises pour lesquelles cette autorisation a été accordée à la lumière des circonstances de fait et de droit caractérisant la cas individuel sous-tendant la demande, tout comme il est impératif qu’une telle relecture fasse apparaître la durée de validité de l’autorisation”. En particulier, lorsque la décision d’autorisation se limite à indiquer la durée de validité de l’autorisation et indique que les dispositions légales sont respectées, il est indispensable que la demande mentionne clairement toutes les informations nécessaires afin que les personnes concernées soient en mesure de comprendre que, sur la base de ces seules informations, le tribunal qui a accordé l’autorisation, en entérinant la motivation contenue dans la demande, arrive à la conclusion que toutes les conditions légales sont remplies.

Dès lors, la CJUE interprète l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, lu à la lumière de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, comme signifiant que «elle ne s’oppose pas à une pratique nationale selon laquelle des décisions judiciaires autorisant le recours à des méthodes d’enquête spéciales, à la suite d’une demande motivée et circonstanciée des autorités pénales, sont rédigées au moyen d’un texte préétabli qui ne contient pas de motifs individualisés, mais qui se contente constate, outre la durée de validité de l’autorisation, que les conditions prévues par la législation visée par ces décisions ont été respectées, sous réserve des motifs précis pour lesquels la juridiction compétente a estimé que les conditions légales avaient été respectées, compte tenu des circonstances de fait et de droit caractérisant l’affaire en cause, peut être déduite facilement et sans ambiguïté d’une lecture croisée de la décision et de la demande d’autorisation, cette dernière devant être rendue accessible, après l’octroi de l’autorisation , à la personne à l’encontre de laquelle le recours à des méthodes d’enquête spéciales a été autorisé”.

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 16 mars 2023, Colt Technology Services e.a., affaire C‑339/21, EU:C:2023:214.

Renvoi préjudiciel – Réseaux et services de communications électroniques – Directive (UE) 2018/1972 – Article 13 – Conditions attachées à l’autorisation générale – Annexe I, partie A, point 4 – Permettre l’interception légale par les autorités nationales compétentes – Article 3 – Objectifs généraux – Législation nationale sur le remboursement des frais liés aux activités d’interception que les opérateurs de télécommunications sont sommés d’effectuer par les autorités judiciaires – Absence de mécanisme de remboursement intégral – Principes de non-discrimination, de proportionnalité et de transparence

fait

En Italie, les opérateurs de télécommunications sont tenus, en cas de demande des autorités judiciaires, de procéder à l’interception des communications (voix, informatique, télématique et données) moyennant un forfait. Les montants qu’ils perçoivent ont été modifiés par un décret de 2017, qui a instauré une réduction d’au moins 50 % des remboursements des frais liés à ces opérations d’interception. Les opérateurs de télécommunications concernés au principal ont demandé l’annulation de cet arrêté aux autorités judiciaires italiennes, en faisant valoir que les redevances prévues ne couvrent pas entièrement les frais exposés.

le Conseil d’État (Conseil d’État, Italie), saisi de l’affaire en appel, demande à la CJCE si le droit de l’Union, en particulier l’article 13 de la directive 2018/1972, s’oppose à une législation nationale qui n’exige pas le remboursement intégral des coûts réellement encourus par les fournisseurs de communications électroniques services lorsqu’ils permettent l’interception légale des communications électroniques par les autorités nationales compétentes

Conclusions de la CJCE

Selon l’article 13 de la directive 2018/1972, l’autorisation générale de fourniture de réseaux ou de services de communications électroniques ne peut être soumise qu’aux conditions énumérées à l’annexe I de ladite directive, et ces conditions doivent être non discriminatoires, proportionnées et transparentes . Parmi ces conditions figure celle de permettre l’interception légale par les autorités nationales compétentes.

Toutefois, le législateur de l’Union n’a ni imposé ni exclu le remboursement, concernés par les États membres, des frais qui seraient supportés par les entreprises concernées lorsqu’elles permettent l’interception légale conformément aux termes de cette condition. Dès lors, en l’absence de précisions à cet égard dans la directive 2018/1972, les États membres disposent d’un pouvoir d’appréciation en la matière et ce pouvoir doit être exercé dans le respect des principes de non-discrimination, de proportionnalité et de transparence.

Par conséquent, la CJUE interprète l’article 13 de la directive 2018/1972 comme «ne s’oppose pas à une législation nationale qui n’exige pas le remboursement intégral des coûts effectivement supportés par les fournisseurs de services de communications électroniques lorsqu’ils permettent l’interception légale de communications électroniques par les autorités nationales compétentes, à condition que cette législation soit non discriminatoire, proportionnée et transparente”.

En l’espèce, il apparaît à la Cour de justice que la réglementation nationale en cause au principal est non discriminatoire, proportionnée et transparente, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier. La CJUE souligne que les remboursements prévus par la législation nationale en cause en ce qui concerne la condition de permettre l’interception légale sont comparables pour tous les opérateurs offrant des services de communications électroniques en Italie, puisque les remboursements sont prévus sur la base de taux unitaires fixes, déterminés par type de service d’interception effectué. En outre, ces tarifs doivent, selon la législation italienne applicable, être calculés par les autorités en tenant compte du progrès technologique dans le secteur, qui a rendu certains services moins chers, et du fait que ces services sont essentiels à la poursuite de l’intérêt général objectifs d’intérêt public supérieur et qu’ils ne peuvent être assurés que par les opérateurs de télécommunications. Enfin, conformément à cette législation, ces taux sont fixés au moyen d’un acte administratif formel, publié et librement accessible.