La Pologne a surpris le monde lorsque le 25 août 2022, le gouvernement a soumis au Parlement polonais un projet de loi autorisant le président de la Pologne à dénoncer le traité sur la charte de l’énergie (TCE) et le protocole de la charte de l’énergie sur l’efficacité énergétique et les aspects environnementaux connexes. L’idée que la Pologne mette fin au TCE n’avait pas été lancée dans les médias ni à l’ordre du jour des partis politiques polonais avant que la mesure ne soit prise. Cet article présente les raisons invoquées par la Pologne pour le retrait du TCE et explique pourquoi les véritables motifs de cette décision restent flous.
Projet de loi
Le projet de loi et l’acte de résiliation joint à la décision du gouvernement polonais sont simples et succincts. Ils se limitent à une simple autorisation pour le président de se retirer unilatéralement du TCE. Elles sont accompagnées d’une déclaration interprétative au TCE, qui vise à refléter la position de la Pologne selon laquelle, à la suite Komstroyles tribunaux arbitraux n’ont pas compétence pour connaître des réclamations intra-UE en vertu du TCE.
Comme l’exige la législation polonaise, le projet d’acte est accompagné d’un exposé écrit des motifs expliquant la nécessité du nouveau règlement, ses concepts de base, l’impact social et économique attendu, ainsi que l’évaluation de la conformité de l’acte proposé avec le droit de l’UE.
Raisons officielles pour que la Pologne quitte le TCE
Selon l’exposé des motifs, la Pologne considère que le retrait du TCE est nécessaire, principalement parce que le traité est incompatible avec le droit de l’UE. La Pologne affirme que la plupart des tribunaux arbitraux du TCE ne respectent pas les limitations de compétence résultant du droit de l’UE. Il perçoit également que les chances de réussir une réforme du TCE dans le cadre du processus de négociation actuel sont faibles. Ainsi, le retrait unilatéral est présenté comme le seul moyen de se conformer au droit de l’UE.
La Pologne affirme que le mandat de négociation de la Commission européenne n’implique pas la modification de l’article 26 du TCE. Cette déclaration ne traite pas du fait que, conformément au projet de TCE modernisé Sorti en juin 2022, l’application de l’article 26 TCE est exclue, comme entre les États membres d’une même organisation régionale d’intégration économique.
La Pologne soutient également que si ses ressortissants ne seraient apparemment pas intéressés par les options de protection des investissements dans le cadre du TCE, la Pologne a été un État défendeur dans de nombreux arbitrages en vertu de ce traité, encourant des frais de défense importants. Ces coûts sont désormais présentés comme les économies potentielles que la Pologne est susceptible de réaliser lors de son retrait du TCE. Le document affirme également que le «accélérer la transformation énergétique« serait »avec facultés affaiblies», si la Pologne était obligée de payer «dommages-intérêts élevés basés sur de vagues normes de traité aux investisseurs de combustibles fossiles » pour « violations présumées de leurs droits ». Encore une fois, aucune référence n’est faite au projet de TCE modernisé, qui vise à faire face au risque de ralentissement du changement climatique par les investisseurs de l’industrie des combustibles fossiles.
L’exposé des motifs maintient qu’il n’y a aucune preuve claire suggérant que la Pologne restant partie au TCE attirerait de nouveaux investissements. Il suggère que d’autres mécanismes juridiques, y compris les procédures devant les tribunaux nationaux et les organes internationaux des droits de l’homme, offrent des normes de protection comparables aux individus et à leurs investissements. Dans le même temps, le document souligne l’imprécision signalée des dispositions du TCE et fait référence au risque de «refroidissement réglementaire» que le TCE est censé produire. Là encore, aucune référence n’est faite à la manière dont le TCE modernisé prétend résoudre ce problème.
Évaluation des motifs invoqués par la Pologne pour se retirer du TCE
Ces motifs de retrait peuvent, bien sûr, être facilement critiqués. La Pologne prétend être un défenseur du droit de l’UE lorsqu’elle viole ostensiblement le droit de l’UE sur divers points, y compris l’indépendance judiciaire. La Pologne considère son système judiciaire national et le système international de protection des droits de l’homme comme équivalents aux mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États prévus par le TCE, alors qu’elle a passé les six dernières années à démanteler l’indépendance de son pouvoir judiciaire. À titre indicatif, la Cour constitutionnelle polonaise a même rendu un arrêt à caractère politique déclarant que l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme est incompatible avec la Constitution polonaise (Affaire n° K 7/21 du 10 mars 2022à la suite des arrêts de la CEDH dans l’affaire Xero Flor c. Pologne (requête n° 4907/18), ainsi que dans l’affaire Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne (requêtes nos 49868/19 et 57511/19). La Pologne fait référence au risque de sinistres liés aux combustibles fossiles lorsqu’elle a promu les secteurs du charbon et du gaz au cours des dernières années. Aucune de ces raisons officiellement énoncées n’est vraiment convaincante.
Une lecture plus attentive de l’exposé des motifs suggère l’importance de l’article 47, paragraphe 3, TCE pour le gouvernement polonais. La Pologne invoque cette disposition pour affirmer qu’une fois le retrait effectif, aucun nouvel investissement extra-UE ne bénéficiera d’une protection au titre du TCE en Pologne, pendant la période d’extinction. Conformément à l’article 47, paragraphe 2, du traité CE, le retrait prend effet un an après la date de réception de la notification par le dépositaire. Les investissements qui existeront à la date à laquelle le retrait prend effet seront protégés pendant 20 ans supplémentaires. En d’autres termes, l’intention derrière le retrait est d’exclure la protection en Pologne des investissements hors de l’UE, effectués fin 2023 ou plus tard.
En ce qui concerne les investissements intra-UE, la Pologne s’appuie sur l’arrêt de la CJUE dans Komstroy, de conclure que ces investissements ne bénéficient pas encore aujourd’hui d’une protection au titre du TCE. Lors du retrait, la Pologne a l’intention de faire une déclaration unilatérale en vertu de l’article 30(4) CVDT affirmant que la clause compromissoire contenue à l’article 26 TCE ne peut pas être appliqué dans les litiges intra-UE. Il est peu probable que cette déclaration soit acceptée comme contraignante par les tribunaux arbitraux. Elle est cependant cohérente avec l’approche récemment adoptée par la Pologne pour résilier ses TBI intra-UE en invoquant leur incompatibilité avec le droit de l’UE.
Points d’interrogation
Deux questions viennent immédiatement à l’esprit en réaction au projet de retrait de la Pologne du TCE. Pourquoi maintenant? Et quels investisseurs, le cas échéant, sont ciblés par le retrait envisagé ?
Le moment du projet de loi est particulier. S’il est mis en place, le retrait entrera en vigueur au moment des prochaines élections législatives en Pologne, qui pourraient être perdues par le parti politique sortant. Dans ce cas, tout avantage perçu du retrait reviendrait à l’opposition.
D’autre part, le retrait proposé intervient deux mois après qu’un accord de principe a été trouvé en juin 2022 sur le projet de TCE modernisé. Comme indiqué dans l’exposé des motifs, la Pologne estime que l’approbation finale est peu probable et que le processus de ratification prendrait des années. Ce pessimisme peut être lié à l’initiative récente de plusieurs États membres de l’UE, dont l’Espagne, l’Allemagne et la Belgique, de convaincre la Commission européenne de la nécessité de retirer collectivement l’UE du TCE. Il semble cependant que la Commission européenne ait jusqu’à présent résisté à ces demandes. Par conséquent, soit le scepticisme de la Pologne est injustifié, soit on peut s’attendre à d’autres retraits.
En supposant que le but du retrait est de priver les nouveaux investisseurs de leur protection, la question se pose de savoir si un groupe d’investisseurs particulier est à risque. Bien que l’énoncé des motifs fasse spécifiquement référence aux investisseurs dans les combustibles fossiles, cela peut être un faux-fuyant. En Pologne, la majeure partie de l’industrie des combustibles fossiles appartient à l’État, qui a accru sa part de marché grâce à de récentes acquisitions de centrales électriques privées et à la construction de nouvelles unités de production d’électricité. Les réclamations les plus importantes actuellement intentées contre la Pologne dans le cadre du TCE, telles que Exploitation minière des Prairies (maintenant GreenX Metals)ne sont pas concernés par la décarbonisation liée au climat, mais les demandeurs affirment plutôt que la Pologne les discrimine par rapport aux entreprises publiques en ce qui concerne l’accès aux concessions d’exploitation de la houille.
Si de nouvelles créances surgissent à l’avenir contre la Pologne dans le secteur de l’énergie, elles concerneront plutôt des secteurs énergétiques autres que les énergies fossiles. La dure réalité est que la guerre en Ukraine et le chantage énergétique de la Russie déployé contre l’Europe ont révélé sans pitié les lacunes de la stratégie énergétique de la Pologne. Le pays a désespérément besoin de limiter sa dépendance excessive au charbon et au gaz. Cela signifie le retour aux énergies renouvelables et une tentative de construction de centrales nucléaires. Dans tous ces projets énergétiques, la Pologne devra s’appuyer sur des équipements, un savoir-faire, des capitaux et des technologies étrangers. Cela peut être clairement mis en évidence dans les processus d’octroi de licences en cours pour les parcs éoliens offshore sur la mer Baltique, qui devraient apporter 10 GW supplémentaires à la capacité de production de la Pologne. À son tour, le nouveau projet nucléaire polonais sera construit en coopération avec une société américaine – Bechtel. Ces investissements de haute technologie et autres, à forte intensité de capital, comportent un risque inhérent de différends réglementaires contre l’État.
Conclusion
En résumé, le retrait proposé du TCE s’inscrit dans la politique plus large de la Pologne visant à limiter l’accès des investisseurs étrangers à l’arbitrage international ainsi qu’à réduire le contrôle arbitral et judiciaire externe. L’évaluation de l’impact financier s’arrête aux économies relativement faibles en frais d’arbitrage ou en frais d’adhésion à l’ECT, tout en ignorant les coûts de mobilisation de capitaux pour une modernisation énergétique accélérée dans des conditions de marché et géopolitiques défavorables. Le moment de cette décision crée de la confusion, à la fois en termes de renégociations en cours du TCE et de déficit énergétique créé par la guerre. En conséquence, cela soulève des inquiétudes quant au fait que les avantages supposés sont purement politiques et qu’ils augmentent le niveau de risque politique de faire des affaires en Pologne.