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Brexit 2.0 : le Royaume-Uni quitte le traité sur la Charte de l’énergie

Fin février 2024, le ministre britannique de la Sécurité énergétique et de la neutralité carbone, Graham Stuart, a annoncé la décision de son pays de se retirer du Traité sur la Charte de l’énergie. (« ECT »). Le 28 mai 2024, le Secrétariat de la Charte de l’énergie a révélé dans un communiqué que la notification officielle du retrait du Royaume-Uni avait déjà été reçu par le dépositaire du traité, le Portugal, le 26 avril 2024. Le Royaume-Uni suivra un certain nombre de pays de l’Union européenne (« UE ») qui ont déjà ou vont bientôt déclarer formellement leur sortie du TCE (voir, dans ce à cet égard, le communiqué de presse du Secrétariat du TCE du 7 mars 2024).

À l’instar de la position adoptée par ces pays, la décision du Royaume-Uni de quitter le TCE est motivée par l’absence de progrès dans le processus de modernisation du TCE. Il convient toutefois de noter que la Commission européenne a proposé que les États membres de l’UE ne bloquent plus davantage la modernisation du TCE quelques jours seulement après l’annonce par le Royaume-Uni de son intention de se retirer, et a ensuite établi une feuille de route plus détaillée à cet effet.

Cet article aborde les paramètres juridiques du retrait du Royaume-Uni et son interaction avec les efforts de modernisation.

Le cadre du retrait du Royaume-Uni

Le retrait et les modifications du TCE sont des questions assez techniques. Leur interaction aussi (pour un compte rendu plus détaillé des questions pertinentes, voir Kehl & Wuschka, ZEuS 202459 (67 et suiv.)). Un retrait prend effet un an après la réception de la notification de retrait par le dépositaire du TCE en vertu de l’article 47, paragraphe 2, du TCE, ce qui conduit au retrait du Royaume-Uni devenant effectif le 27 avril 2025 (comme indiqué également dans le communiqué de presse du Secrétariat du TCE).). Une fois ce délai expiré, l’État qui se retire met effectivement fin à son adhésion. Il est toutefois important de noter que le TCE continue de s’appliquer aux investissements préexistants et éligibles en vertu de sa clause d’extinction, l’article 47(3), pendant encore 20 ans.

Dans le même temps, l’article 36, paragraphe 1, allumé. a du TCE requiert « l’unanimité » parmi les parties contractantes « présentes et votantes » pour qu’un amendement au TCE soit adopté. Un amendement, à son tour, prendra effet 90 jours après sa ratification par les ¾ des membres du TCE en vertu de l’article 42, paragraphe 4, du TCE. Conformément à la définition de l’article 1, paragraphe 2, du TCE, les États, pendant leur « délai de rétractation » d’un an en vertu de l’article 47, paragraphe 2, du TCE, sont également considérés comme parties contractantes à ces fins. Pendant cette période, leur comportement de vote jouera un rôle au sens de l’article 36, paragraphe 1, lit. a et 42(4) TCE, et par conséquent pour la conclusion du processus de modernisation du TCE.

Aux termes de l’article 42, paragraphe 4, du TCE, les amendements « n’entrent en vigueur qu’entre les parties contractantes les ayant ratifiés, acceptés ou approuvés ». À l’inverse, les relations entre les parties au traité qui auraient ratifié le TCE modernisé et celles qui ne l’ont pas fait (et parmi celles qui ne l’ont pas fait) resteront régies par le TCE préexistant et « non modernisé » (cf. également les articles 40(4). ) et 30, paragraphe 4, lit. b, de la Convention de Vienne sur le droit des traités).

Le rôle du Royaume-Uni dans le processus de modernisation et ses obligations continues au titre du TCE

Le TCE ne réglemente pas explicitement quelle version du traité – l’« ancienne » ou la « modernisée » – continue de s’appliquer à une partie contractante qui le quitte en vertu de la clause d’extinction si et quand la modernisation prend effet. Cependant, conformément à ce qui précède, les États qui déclarent leur retrait après leur propre ratification du TCE modernisé et sa ratification globale par les ¾ des membres relèveront du cadre modernisé. Seul le TCE modernisé continuerait à lier un tel État en vertu de la clause d’extinction une fois la période de retrait d’un an terminée.

En revanche, les États qui passent un an dans la zone grise entre l’adoption du TCE modernisé et l’entrée en vigueur du TCE modernisé seront toujours liés par « l’ancien TCE » pendant encore 20 ans en vertu de la clause d’extinction. En effet, leur retrait deviendrait effectif à un moment où le traité modernisé ne serait pas devenu contraignant pour eux. Par conséquent, une continuité des obligations contraignantes ne pouvait être établie qu’en ce qui concerne le traité avant sa modernisation.

En notifiant déjà formellement son retrait, le Royaume-Uni s’est donc placé dans une position où il ne peut plus influencer la version du TCE qu’il utilisera jusqu’à l’expiration du traité. Et il semble peu probable que la dynamique politique permette la ratification des amendements par les trois quarts nécessaires des parties contractantes du TCE avant le 27 avril 2025, date effective du retrait du Royaume-Uni. Compte tenu du regain d’intérêt politique pour le processus de modernisation après que le Royaume-Uni a fait connaître son intention de se retirer, on aurait pu s’attendre à ce que le gouvernement britannique retarde encore davantage sa notification officielle de retrait.

Conséquences du retrait pour la protection des investissements au Royaume-Uni en matière énergétique

La conséquence probable de la notification du retrait du Royaume-Uni en avril 2024 est que le TCE, dans sa forme actuelle et « non modernisée », continuera à protéger les investissements préexistants au Royaume-Uni de 2025 à 2045. Cette protection inclut inévitablement également les investissements dans les énergies fossiles, alors que de tels investissements n’auraient pas bénéficié du même niveau de protection à l’époque dans le cadre du TCE modernisé. En effet, les parties contractantes du TCE avaient négocié un « mécanisme de flexibilité » pour le TCE modernisé. Dans le cadre de ce mécanisme, les parties contractantes pourraient exclure unilatéralement les combustibles fossiles des protections du TCE. L’UE et le Royaume-Uni s’étaient en outre déjà mis d’accord sur une exclusion des combustibles fossiles des protections des investissements du TCE, ce qui aurait également limité la protection des investissements préexistants à dix ans à compter de l’entrée en vigueur du TCE modernisé. De plus, aucun investissement lié aux énergies fossiles n’aurait bénéficié de la protection du TCE modernisé après le 31 décembre 2040, quelle que soit la date d’entrée en vigueur de l’amendement (voir plus loin sur ces questions Kehl & Wuschka, ZEuS 202459 (63 et suiv.)).

Dans le même temps, les traités d’investissement britanniques de portée générale restent applicables aux côtés du TCE sectoriel. En tant que pionnier en matière de conclusion de traités d’investissement, selon les données de la CNUCEDLe Royaume-Uni a signé un total de 110 traités bilatéraux d’investissement (« TBI ») au cours des 49 dernières années (les deux premiers avec l’Égypte et Singapour en 1975, le dernier avec la Colombie en 2010). Même si certains de ces traités ont déjà pris fin ou ne sont pas en vigueur, la majorité le sont.

Parmi les partenaires du Royaume-Uni figurent ou figuraient également de nombreux États membres actuels de l’UE, principalement ceux qui ont rejoint l’Union lors des élargissements de 2004, 2007 et 2013 vers l’Europe de l’Est et les Balkans occidentaux. Des TBI sont toujours en vigueur entre le Royaume-Uni et la Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, Lituanie et Slovénie. D’autres accords – notamment ceux avec l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, Malte, la Roumanie, la Slovaquie et la Pologne – ont été résiliés plus récemment, pour la plupart en 2021 et en partie par consentement. Toutefois, ces accords peuvent également continuer à s’appliquer en vertu de leurs clauses d’extinction respectives. En revanche, le Royaume-Uni n’a jamais été partie à des TBI avec des États membres économiquement centraux de l’UE tels que : entre autresAllemagne, France, Pays-Bas, Belgique, Espagne et Italie. En plus du TCE, ces États ne seraient actuellement couverts (comme tous les autres États membres de l’UE) que par l’accord de commerce et de coopération entre l’UE et le Royaume-Uni.qui ne prévoit pas d’arbitrage investisseur-État traditionnel (sur ces aspects, voir Peters & Wuschka, ICSID Review 2023, 39).

L’ironie du retrait avant la modernisation

À la lumière de ce qui précède, le retrait du Royaume-Uni – en particulier compte tenu du moment choisi – fait ressortir encore plus l’ironie de la tendance actuelle vers une sortie du TCE parmi de nombreux États. Arguant que la sortie du Royaume-Uni (Brexit) du TCE « soutiendra la transition du Royaume-Uni vers zéro émission nette et renforcera sa sécurité énergétique ».», le retrait crée en fait un scénario dans lequel les investissements dans les combustibles fossiles continueront très probablement à être protégés pendant une période plus longue qu’ils ne l’auraient été dans le cadre du TCE modernisé.

Même si cette ironie est également inhérente aux arguments d’autres États qui suivent la même approche (par exemple l’Allemagne et la France), le cas du Royaume-Uni est particulier. Au moment où un regain d’intérêt pour l’achèvement du processus de modernisation du TCE est apparu, il s’est mis dans une position où il ne peut même plus influencer lui-même quel cadre – l’« ancien TCE » ou le « nouveau TCE » qui restreint la protection des personnes investissements dans les combustibles fossiles – continueront à le lier en vertu de la clause d’extinction.

Dans le même temps, à partir du 27 avril 2025, les nouveaux investissements énergétiques – en particulier ceux dans le secteur des énergies renouvelables qui sont nécessaires de toute urgence à la transition énergétique – cesseront d’être protégés au Royaume-Uni (et les investissements équivalents des investisseurs britanniques à l’étranger) au titre de la loi. ECT. De tels investissements peuvent toujours être couverts par des traités d’investissement d’application générale, que – autre ironie du sort – le gouvernement britannique n’a apparemment pas identifié jusqu’à présent comme un obstacle à sa politique climatique. Du point de vue de la promotion et de la protection des investissements internationaux en général, on peut donc espérer que l’approche idiosyncrasique adoptée par le gouvernement britannique à l’égard du TCE ne sera pas étendue aux autres traités d’investissement du Royaume-Uni.